mardi 16 janvier 2018

"Une Vie comme les autres" de Hanya Yanagihara

Le rêve d'une vie ordinaire

"Tous les "si" les plus terrifiants impliquent des personnes.
Tous les bons "si" également."



Présentation de l'éditeur

Epopée romanesque d’une incroyable intensité, chronique poignante de l’amitié masculine contemporaine, Une vie comme les autres interroge de manière saisissante nos dispositions à l’empathie et l’endurance de chacun à la souffrance, la sienne propre comme celle d’autrui.
On y suit sur quelques dizaines d'années quatre amis de fac venus conquérir New York. Willem, l’acteur à la beauté ravageuse et ami indéfectible, JB, l’artiste peintre aussi ambitieux et talentueux qu’il peut être cruel, Malcolm, l’architecte qui attend son heure dans un prestigieux cabinet new-yorkais, et surtout Jude, le plus mystérieux d’entre eux. Au fil des années, il s’affirme comme le soleil noir de leur quatuor, celui autour duquel les relations s’approfondissent et se compliquent, cependant que leurs vies professionnelles et sociales prennent de l’ampleur.


Mon Avis 

JB, Malcolm, Willem et Jude sont quatre amis qui ont partagé la même chambre à l'université. A l'issue de leurs études, ils débarquent tous à New York avec l'ambition de bâtir leurs vies. Dès les premières pages, nous faisons la connaissance de l'artiste-peintre JB, l'aspirant acteur Willem (pour l'instant serveur), l'architecte Malcolm, et de l'avocat Jude. Dans ce roman de plus de 800 pages, nous les suivons sur presque quatre décennies. Chacun bien entendu, a sa propre personnalité. JB est parfois cruel, cynique ; Malcolm vit encore chez ses parents et éprouve beaucoup de complexes ; Willem, beau, bienveillant et charmant garçon ; et enfin Jude, un personnage mystérieux qui ne parle pas son passé à ses amis.

Cependant, au fil des pages, le roman change de nature. Ce n'est pas un roman principalement axé sur les péripéties de quatre amis. Une Vie comme les autres est un roman magnifique, bouleversant, dur, sur la douleur et l'amitié. Jude se révèle être le personnage central de cette histoire.

— Comme Judy, par exemple : on ne le voit jamais avec personne, on ne sait pas de quelle race il est, on ne sait rien de lui. Post-sexuel, post-racial, post-identité, post-passé - il lui sourit, probablement pour lui signifier qu'il plaisantait à moitié." (page 111).

"(...) malgré tous ses efforts pour dissimuler les singularités criantes de son être, il ne trompait personne. Ils se rendaient tous compte de son étrangeté, et maintenant il s'apercevait de l'ampleur de sa bêtise, qui lui avait fait s'imaginer les avoir persuadés de sa normalité." (page 111).

Le mystère qui entoure Jude est obscur, et même le lecteur se demande qui est véritablement ce personnage. Les révélations sur lui n'apparaissent qu'au compte-gouttes. Au milieu du roman, nous savons pourquoi il souffre, pourquoi il se scarifie, pourquoi parfois il a besoin d'une chaise roulante, pourquoi il ne dit rien de son passé, de ses origines. Lorsque nous avons connaissance de son histoire, immédiatement, nous ressentons une profonde empathie pour lui. Nous souffrons avec lui. Nous ressentons son malaise, son mal-être, sa solitude.

"Il songera qu'il est piégé, piégé dans un corps qu'il hait, avec un passé qu'il exècre, et qu'il ne pourra jamais changer. (...) Il songera qu'il n'est rien, une coquille évidée (...)." (page 179). 

Jude apprécie beaucoup ses amis, mais il a un lien privilégié avec Willem. Il lui fait confiance. Et Willem est extrêmement bienveillant envers lui, il respecte son silence, ne le force pas à parler de son passé. Il émane de ce personnage une douceur intense. La relation entre ces deux personnages est tout simplement magnifique.

"Il éprouvait des sentiments complexes à l'égard de Jude. Il l'aimait - cette part était simple - et s'inquiétait pour lui, ayant de temps en temps l'impression de jouer autant le rôle de grand frère et protecteur que d'ami. (...) Ils aimaient tous Jude, et l'admiraient, mais Willem avait souvent le sentiment que Jude lui avait permis d'entrevoir un peu plus de sa personne (un tout petit peu plus) qu'aux autres, et il n'était pas sûr de savoir ce qu'il était censé faire de cette intimité." (page 27) 

Une vie ordinaire, voilà à quoi aspire Jude. Son enfance et son adolescence sont monstrueuses. Elles sont le résultat d'un mal qui le ronge depuis des décennies. Ce passé a fait naître en lui une haine féroce de lui-même, un refus constant du bonheur, une impression de déranger tout le monde. Cette hypersensibilité, ces blessures, ces failles font de Jude un personnage inoubliable et exceptionnel. Et, au bout de ces 800 pages, on quitte Jude et les autres dans une fin saisissante. On en ressort remué. Ebranlé. Emu.

En bref, Hanya Yanagihara signe un deuxième roman (premier roman publié en France) émouvant, bouleversant, magnifique sur la douleur, l'amitié et l'empathie. Le lecteur fait partie du cercle d'amis. Il les suit sur presque quatre décennies, il les connaît parfaitement. Et comment ne pas être ému par le personnage de Jude, un être brisé, qui souffre constamment, mais qui tente par le biais de l'amitié notamment, de vivre "une vie comme les autres" ? Une ode magnifique à l'amitié, celle qui dure toute une vie. 


Une Vie comme les autres (A Little Life), Hanya Yanagihara, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Emmanuelle Ertel, Buchet-Chastel, janvier 2018, 816 pages, 24 €.

Bonus : le trailer du roman par les éditions Buchet-Chastel :




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A bientôt pour une prochaine chronique ^^







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