jeudi 17 août 2017

"La Disparition de Josef Mengele" d'Olivier Guez

Cavale dantesque d'un monstre



Rentrée littéraire 2017

Présentation de l'éditeur


1949  : Josef Mengele arrive en Argentine.
Caché derrière divers pseudonymes, l’ancien médecin tortionnaire à Auschwitz  croit pouvoir s’inventer une nouvelle vie à Buenos Aires. L’Argentine de Peron est bienveillante, le monde entier veut oublier les crimes nazis. Mais la traque reprend et le médecin SS doit s’enfuir au Paraguay puis au Brésil. Son errance de planque en planque, déguisé et rongé par l’angoisse, ne connaîtra plus de répit… jusqu’à sa mort mystérieuse sur une plage en 1979.
Comment le médecin SS a-t-il pu passer entre les mailles du filet, trente ans durant  ?
La Disparition de Josef Mengele est une plongée inouïe au cœur des ténèbres. Anciens nazis, agents du Mossad, femmes cupides et dictateurs d’opérette évoluent dans un monde corrompu par le fanatisme, la realpolitik, l’argent et l’ambition. Voici l’odyssée dantesque de Josef Mengele en Amérique du Sud. Le roman-vrai de sa cavale après-guerre.


Mon Avis

Helmut Gregor descend du North King et pose les pieds à Buenos Aires. Il est mécanicien. Il a avec lui une petite valise contenant des "seringues hypodermiques, cahiers de notes et de schémas anatomiques, échantillons de sang, plaquettes de cellules : étrange pour un mécanicien". Le médecin du port qui l'a inspecté lui demande des explications. Tout ce que Gregor trouva à dire, c'est qu'il est biologiste amateur. Après l'avoir longuement toisé, le médecin lui a ouvert le passage. Le 22 juin 1949, Helmut Gregor, de son vrai nom Josef Mengele, l'ange de la mort, est en Argentine.

Olivier Guez, journaliste, écrivain et scénariste, nous narre la cavale de Josef Mengele en Amérique du Sud qui dura trente ans (de 1949 à 1979). Pour ceux qui ne le connaissent pas ou ceux qui l'ont oublié, Josef Mengele était le médecin du camp de concentration d'Auschwitz. C'était lui qui sélectionnait notamment les déportés voués aux chambres à gaz. Il réalisa aussi des expérimentations médicales meurtrières sur des hommes, des femmes et des enfants. A la fin de la guerre, il échappa à l'Armée rouge, trouva refuge en Italie. Nous le retrouvons ici à Buenos Aires.

"Croiser son regard et lui adresser la parole étaient interdits ; même ses camarades de l'ordre noir avaient peur de lui. Sur la rampe où l'on triait les juifs d'Europe, ils étaient ivres mais lui restait sobre et sifflotait quelques mesures de "Tosca" en souriant. Ne jamais s'abandonner à un sentiment humain.
La pitié est une faiblesse (...)."

On apprend beaucoup sur cet homme manipulateur, despote, colérique, vaniteux, haineux, sans aucun affect pour l'humain. Cet être est tout bonnement à vomir. L'auteur nous transmet ce portrait détestable, mais aussi ses écrits, ses propos immondes sur ses expériences sur la gémellité, et sur cette volonté de "défendre la race nordique".

Dans un pays comme l'Argentine, qui voue un culte au couple Peron, Mengele ne se sent pas "dépaysé". Grâce à des explications claires et précises, on apprend beaucoup sur ce pays en plein expansion grâce à ses exportations vers l'Europe, mais aussi sur le couple Peron et ses liens avec le nazisme. Buenos Aires est un "Quatrième Reich fantôme" : l'Argentine ferme les yeux et délivre même un titre de séjour à Mengele. Si ce dernier s'en sort, c'est grâce aussi à des réseaux cachés, dans lesquels se réunissent ses camarades nazis. Ainsi, Rudel, "as des as de la Luftwaffe", le prend sous son aile. La famille richissime de Mengele qui possède une grande entreprise de machines agricoles en Allemagne, lui envoie de l'argent régulièrement. 

"(...) il a la liberté, l'argent, le succès, personne ne l'a arrêté et
personne ne l'arrêtera jamais".

A partir de là, Mengele va mener une vie agréable et paisible... "Il a quitté son triste faubourg pour l'épatante villa, un lit douillet, une chambre lumineuse (...), des petits pains, des œufs et une bonne Autrichienne qui s'affaire en cuisine soir et matin". Avec ses amis nazis, il joue au poker, va au théâtre, dans les cabarets, au dancing et fréquente des prostituées. "Il dirige une charpenterie et une fabrique de meubles financées par l'intarissable manne familiale, pratique des avortements clandestins et vante la robustesse légendaire des machines agricoles Mengele aux fermiers des provinces du Chaco et de Santa Fe." Personne ne le recherche. Alors, fini Helmut Gregor, Mengele reprend son véritable nom en 1956. "Le pacha s'entoure et s'embourgeoise. La vie lui sourit".

Ce n'est qu'à la fin de l'année 1956 que "le monde découvre peu à peu l'extermination des juifs d'Europe". Grâce à la mention de son divorce en 1954 sur les actes d'état civil, la traque de Mengele commence enfin. Il se voit contraint de se réfugier au Paraguay. La plénitude laisse peu à peu la place à la peur, à la solitude et à la paranoia chez Mengele. Pour notre plus grand plaisir. La presse parle de lui et de ses atrocités. Il prend un nouveau nom et s'installe chez un couple de fermiers hongrois dans une zone caniculaire paraguayenne.

"Maintenant commence la descente aux enfers de Mengele.
Il va ronger son cœur et s'égarer dans la nuit."

Dans une deuxième partie, l'auteur s'étend davantage sur les actes horribles perpétrés par Mengele à Auschwitz, relatés par ceux qui l'ont côtoyé de près. Ces passages sont très éprouvants à lire. Mais nécessaires pour que l'on saisisse toute l'horreur que cet homme a été capable de produire. "Le fils de bonne famille a envoyé quatre cent mille hommes à la chambre à gaz en sifflotant." Puis, l'auteur annonce d'ores et déjà la descente aux enfers de Mengele pour notre plus grande satisfaction.

Olivier Guez ne se contente pas de relater la cavale de Mengele. Il pointe du doigt divers acteurs qui l'ont aidé à se cacher, qui l'ont enrichi, qui se sont tus. Il met aussi en lumière les entreprises, les laboratoires qui ont largement profité des travaux des détenus d'Auschwitz pour s'enrichir. Il dénonce également ceux qui ont fui comme Mengele et qui se sont élevés notamment au rang de professeur d'université. Enfin, il met le doigt sur certains agissements du Mossad, chargé de traquer Mengele, qui n'a pas pris la peine d'interroger un témoin-clé. Mengele n'a jamais été capturé. Il n'a jamais été jugé. On ne peut pas s'empêcher de s'interroger sur certaines zones d'ombre.

Enfin, la bibliographie établie par Olivier Guez est forte intéressante et très complète si vous vous intéressez à la Seconde Guerre Mondiale. Et les toutes dernières lignes de l'auteur sur la Mémoire et la nature humaine sont tout simplement magistrales.

En bref, La Disparition de Josef Mengele est un roman fort, saisissant, magistral sur la cavale de ce criminel de guerre. On est tour à tour offusqués, dérangés, horrifiés par ses actes, ses pensées, son comportement et sa nature, profondément abjects. On apprend énormément sur l'Argentine et l'Allemagne de l'après-guerre. Ce roman nous amène enfin à nous interroger sur cette situation : comment des criminels de guerre peuvent-ils restés impunis ? Comment en sont-ils devenus à mener une vie de pacha ? Comment sont-ils passés entre les mailles du filet ? Pourquoi personne ne les recherchait avant 1956 ? Un livre parfois dur, mais nécessaire. Aussi passionnant que dérangeant, il parle de la nature humaine et tout ce qu'elle est capable d'engendrer. A lire absolument.



Un grand merci aux éditions Grasset et à NetGalley !

La Disparition de Josef Mengele, d'Olivier Guez, Grasset, 240 p., 18,50 €, sortie le 16 août 2017.



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A bientôt pour une prochaine chronique ^^


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