mercredi 15 février 2017

Dans la forêt

"Ces jours-ci, nos corps portent nos chagrins comme s'ils étaient des bols remplis d'eau à ras bord. Nous devons être vigilantes tout le temps ; au moindre sursaut ou mouvement inattendu,
l'eau se renverse et se renverse et se renverse."

Auteur : Jean Hegland
Titre VO : Into the forest
Traducteur : Josette Chicheportiche
Editeur : Gallmeister
Genre : Contemporain
Date de parution : 03 janvier 2017
Nombre de pages : 304
Prix : 23,50 €
Prix Kindle : 16,99 €


Présentation de l'éditeur

Rien n'est plus comme avant : le monde tel qu'on le connaît semble avoir vacillé, plus d'électricité ni d'essence, les trains et les avions ne circulent plus. Des rumeurs courent, les gens fuient. Nell et Eva, dix-sept et dix-huit ans, vivent depuis toujours dans leur maison familiale, au coeur de la forêt. Quand la civilisation s'effondre et que leurs parents disparaissent, elles demeurent seules, bien décidées à survivre. Il leur reste, toujours vivantes, leurs passions de la danse et de la lecture, mais face à l'inconnu, il va falloir apprendre à grandir autrement, à se battre et à faire confiance à la forêt qui les entoure, emplie d'inépuisables richesses. Considéré comme un véritable choc littéraire aux États-Unis, ce roman sensuel et puissant met en scène deux jeunes femmes qui entraînent le lecteur vers une vie nouvelle.

Mon Avis

Je tiens dans mes mains mon tout premier roman édité par Gallmeister, une maison d'édition qui publie uniquement de la littérature américaine contemporaine. Lorsque je l'ai reçu, j'ai été très heureuse ! Déjà, le livre... sent bon. Oui, le papier sent divinement bon... (essayez pour voir si vous en avez l'occasion !). C'est un roman post-apocalyptique et en plus très bien noté sur Livraddict. Et pour cause. Selon moi, ce roman a tout pour devenir un futur classique. Je ne vous laisse pas de suspense sur mon verdict...
Je remercie chaleureusement les éditions Gallmeister pour leur confiance. J'espère que ce ne sera pas le premier et le dernier partenariat avec eux, tant leurs publications sont de belle qualité.

Dans la forêt regroupe les écrits de Nell, une jeune fille de 17 ans qui vit seule avec sa sœur Eva, dans leur maison située en plein cœur d'une forêt. C'est une forme de journal mais qui ne comporte pas de date. Le temps est en effet, comme suspendu : il n'y a plus aucun repère temporel formel sans électricité. Nell et Eva, orphelines, vivent en effet dans un monde qui a considérablement changé : le téléphone a cessé de sonner définitivement, l'électricité décline puis n'existe plus, l'essence se raréfie.
Les premières pages du roman débute sur l'évocation de la période de Noël. Les Noël d'avant, en famille, avec leurs parents ; mais aussi les autres qui ont suivi, jusqu'au Noël où seules les deux sœurs sont présentes. Nell parle d'une "situation temporaire". Elles attendent le jour où l'électricité reviendra et où elles pourront reprendre le cours de leurs vies.

"A Noël prochain, tout ceci sera terminé, et ma sœur et moi aurons retrouvé les vies que nous sommes censées vivre. L'électricité sera rétablie, les téléphones fonctionneront. Des avions survoleront à nouveau notre clairière. En ville, il y aura à manger dans les magasins et de l'essence dans les stations-service. Bien avant Noël prochain, nous nous serons permis tout ce qui nous manque maintenant et dont nous avons terriblement envie - du savon et du shampoing, du papier toilette et du lait, des fruits et de la viande. Mon ordinateur marchera, le lecteur CD d'Eva tournera. Nous écouterons la radio, lirons le journal, consulterons Internet. Les banques et les écoles et les bibliothèques auront rouvert, et Eva et moi aurons quitté cette maison où nous vivons en ce moment comme des orphelines qui ont fait naufrage." (pp.9-10).

Mais pour l'instant, le Noël d'aujourd'hui n'a plus rien à voir avec ceux d'avant, ceux dont le souvenir ravive la souffrance des deux sœurs.

"Ce Noël-ci, il n'y a rien de tout cela.  
Pas de guirlandes, pas de cartes de vœux. Pas de piles de cadeaux, pas d'appels longue-distance de grand-tantes et de cousins issus de germains, pas de chants de Noël. Pas de dinde, ni de pudding, ni de balade jusqu'au pont avec nos parents, ni de Messie. Cette année, Noël n'est rien de plus qu'un carré blanc sur un calendrier presque arrivé à la fin, une tasse de thé en plus, quelques instants d'éclairage à la bougie, et, pour chacune de nous, un unique cadeau." (p.11).


Nell a offert à sa sœur ses ballerines usées qu'elle a réparées. Eva, quant à elle, lui a donné un carnet vierge qu'elle a retrouvé dans sa chambre, celui dans lequel elle écrit leur propre histoire. Elle note ce qu'elles ont fait aujourd'hui, mais elle relate également ses souvenirs avec ses parents lorsque ceux-ci étaient encore en vie. Ses bribes de souvenirs, ses regrets de n'avoir pas été plus "aimante" avec eux, sont infiniment émouvants. On ne peut avoir que de la peine et de la compassion pour ces deux jeunes filles abandonnées à leur sort, dans un monde méconnaissable et hostile.

"Une autre bougie meurt et le carrousel s'arrête. Dans la lumière déclinante des trois dernières flammes, les bergers s'agenouillent tranquillement parmi les moutons. Les rois mages tiennent avec raideur leurs présents dans leurs bras en bois, plus éloignés que jamais de leur but. Marie et Joseph sont debout, au garde-à-vous, de part et d'autre de l'enfant en bois. Les bougies faiblissent en jetant un dernier éclat. L'ultime mèche tombe. La flamme s'évanouit. Noël est terminé.  
L'obscurité reprend possession de nous." (p.19).


Cette belle image du carrousel qui n'arrive pas jusqu'au bout de son mécanisme illustre parfaitement la situation préoccupante des deux sœurs. Elles sont infiniment seules face à un monde éteint. La vie quotidienne se trouve profondément bouleversée. L'auteure dénonce justement le monde capitaliste et la société de consommation dans lesquels nous vivons actuellement. Ces critiques sont formulées très souvent par le père des deux jeunes filles :

"Nous ne sommes pas chrétiens, nous sommes capitalistes. Tout le monde dans ce pays fait partie des consommateurs les plus voraces qui soient, avec un taux d'utilisation des ressources vingt fois supérieur à celui de n'importe qui d'autre sur cette pauvre terre." (p.12).

Ensuite, Nell décrit le progressif changement de leurs habitudes face au déclin de l'électricité, qui se coupe de plus en plus. Il leur faut tout économiser, tout répertorier, faire attention à la moindre consommation de nourriture ou d'électricité. Les choses les plus accessibles aujourd'hui se raréfient considérablement jusqu'à engendrer des situations difficiles. Par exemple, les pharmacies ne sont plus approvisionnées. Les médicaments deviennent des produits rares. Les maladies, comme la grippe ou la rougeole, prolifèrent en ville et tuent. La ville devient peu à peu un lieu fantôme. La solution la plus raisonnable selon leur père, est de rester dans leur maison au cœur de la forêt.

"Comme Père ne manquait pas de me le rappeler chaque fois que je rêvais d'aller en ville, ici au moins nous avions un garde-manger bien rempli, un jardin et un potager, de l'eau douce, une forêt pleine de bois de chauffage et une maison. Ici au moins nous étions protégées des obsessions, de la culpabilité et des microbes des autres." (p.30).

Mais que s'est-il passé pour que le monde tel que nous le connaissons s'écroule ainsi ? Comme la majorité des romans post-apocalyptiques, la raison n'est pas évoquée et développée précisément. Nous savons juste qu'il y a eu une guerre. Cependant, la narratrice évoque beaucoup d'autres causes qui se déroulent depuis des années sous nos yeux et dont nous ne faisons même plus attention : des catastrophes naturelles, une crise du pétrole, des crises écologiques, la montée de la violence. Des rumeurs circulent et font froid dans le dos. Il est cependant incroyable de lire ici la liste de toutes ces causes, si actuelles, alors que l'auteure a publié son roman en 1996...

Nell et Eva tiennent le coup grâce à leurs passions respectives : le savoir et la danse. Nell, faute de pouvoir utiliser son ordinateur, apprend par le biais d'une encyclopédie, tandis qu'Eva passe ses journées à danser sur le rythme d'un métronome. Même si le danger guette et que la menace est omniprésente, elles s'accrochent à ce qu'elles aiment le plus. Il existe également une relation extrêmement fusionnelle entre elles, mais leurs disputes peuvent mettre à mal leur propre survie...

Il y a un personnage très important aussi dans ce roman, la forêt. Dans leur enfance, la forêt était un terrain de jeu pour les deux sœurs. Un lieu de découverte et d'amusement. Puis, plus le temps passe plus elle devient inquiétante, dangereuse et menaçante. Lorsque Nell et Eva épuisent tout leur stock de nourriture, la vision qu'elles ont de la forêt qui les entoure change totalement. Elle devient alors une source intarissable de nourriture et de remèdes. Les multiples visages de la forêt sont simplement fascinants.

"Avant j'étais Nell, et la forêt n'était qu'arbres et fleurs et buissons. Maintenant, la forêt, ce sont des toyons, des manzanitas, des arbres à suif, des érables à grandes feuilles, des paviers de Californie (...), et je suis juste un être humain, une autre créature au milieu d'elle." (p.222).

Je n'ai montré ici que quelques thèmes de ce roman si dense. Il y a bien d'autres thèmes encore, comme l'amour adolescent, la mort, la lecture, la survie, mais plus encore, la fin d'une ère. La fin d'une civilisation, celle que l'on connaît actuellement. Nell nous montre leur nouvelle vie après ce grand bouleversement. C'est aussi une façon de retourner en arrière, de vivre autrement.

Pour conclure, Dans la forêt est un chef-d'oeuvre de la littérature américaine. Au-delà de l'aspect post-apocalyptique qui ravira les fans du genre, ce roman est brillant par ses beaux messages qu'il véhicule. Il peut être un avertissement, une dénonciation de la société de consommation ou plus largement, du monde déséquilibré dans lequel nous vivons aujourd'hui. Jean Hegland nous décrit avec un réalisme saisissant les nouvelles vies de ces deux orphelines, entre présent, souvenirs heureux et regrets douloureux. C'est une œuvre touchante, émouvante, qui rend hommage à cette forêt, à la nature, à ce qu'elle peut nous offrir. Elle est magnifiquement bien écrite, et profondément puissante. Peu importe ce que vous avez l'habitude de lire, cette lecture ne vous laissera pas indemne.



A bientôt pour une prochaine chronique ^^




6 commentaires:

  1. Waouhhhh la chronique qui me donne juste envie de faire 80 kilomètres aller-retour pour aller jusqu'au premier libraire accessible et acheter ce précieux. Et quel talent pour nous décrire tout cela ! J'aimerais avoir le quart de ton talent <3 <3

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    1. Ma coupinaute, je t'adore <3 <3 <3
      Tu n'as rien à m'envier, tes chroniques sont très claires et très bien écrites (et elles ont le don d'allonger ma wishlist d'ailleurs ^^)

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  2. Je suis fan de cette maison d'édition et j'ai eu le coup de coeur pour ce livre ;)

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    1. Je l'adore aussi, cette maison d'édition :)
      Il semble qu'on partage les mêmes goûts en matière de lecture ^^

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