mercredi 18 janvier 2017

La Porte du ciel

"Certains jours, June ne savait plus lesquels de ses enfants lui avaient été enlevés par la mort et lesquels par les hommes et la guerre. Il lui semblait qu'elle avait passé sa vie à coudre des linceuls. Où étaient-ils donc tous, dans quel pays ou sous quelle terre ? Etaient-ils dans les chaînes, ou étaient-ce des hommes libres ?
Cela était-il si différent ?" 


Auteur : Dominique Fortier
Editeur : Les Escales
Genre : Historique
Date de parution : 05 janvier 2017
Nombre de pages : 256
Prix : 19,90 €
Prix Kindle : 12,99 €

Rentrée littéraire Hiver 2017


Présentation de l'éditeur

Au cœur de la Louisiane et de ses plantations de coton, deux fillettes grandissent ensemble. Tout les oppose. Eleanor est blanche, fille de médecin ; Eve est mulâtre, fille d'esclave. Elles sont l'ombre l'une de l'autre, soumises à un destin qu'aucune des deux n'a choisi. Dans leur vie, il y aura des murmures, des désirs interdits, des chemins de traverse. Tout près, surtout, il y aura la clameur d'une guerre où des hommes affrontent leurs frères sous deux bannières étoilées.
Plus loin, dans l'Alabama, des femmes passent leur vie à coudre. Elles assemblent des bouts de tissu, Pénélopes modernes qui attendent le retour des maris, des pères, des fils partis combattre. Leurs courtepointes sont à l'image des Etats-Unis : un ensemble de morceaux tenus par un fil – celui de la couture, celui de l'écriture.

Mon Avis

Je le guettais depuis la fin de l'année 2016. Je l'avais précommandé depuis longtemps. Il est arrivé chez moi un jour avant sa sortie. Je l'ai dévoré le lendemain. La Porte du ciel promet monts et merveilles rien que par son titre et sa belle couverture. Tient-il ses promesses finalement ?


Nous sommes en Louisiane, peu avant la guerre de Sécession (1861-1865). Eleanor, blanche et fille de médecin, et Eve, mulâtre et fille d'esclave vivent et grandissent ensemble. Le statut d'Eve est assez flou. Elle n'est ni esclave ni considérée comme la semblable d'Eleanor.


"On ne lui demandait pas de frotter les planchers, mais jamais il ne serait venu à l'esprit de quiconque de l'inviter à s'asseoir à table quand il y avait du monde à la maison. (...) Elle n'était pas asservie, certes non, (...) mais elle n'était certainement pas libre non plus. Qui donc aurait seulement pu dire de quelle couleur elle était ? Les Noirs n'étaient-ils pas censés avoir les lèvres épaisses et la peau couleur de charbon ? D'où tenait-elle donc son nez droit et sa bouche fine ?" (page 57).

Elle ne peut aller à la messe, elle compte pour les 3/5 d'un homme libre selon les officiers du recensement. Finalement, même si Eve s'interroge sur ses origines, elle devient comme l'ombre d'Eleanor, et les deux petites filles ont rapidement une relation très fusionnelle. Lorsque Eleanor se marie et part vivre chez son mari, elle exige même qu'Eve la suive. Leurs deux vies vont alors basculer, avec entre autres, le commencement de la guerre civile.

Ensuite, je préfère vous avertir tout de suite : ce n'est pas vraiment un roman historique pur et dur. Il n'y a pas de date précise, de descriptions de batailles. La guerre civile est relatée de manière chronologique, mais par bribes, comme des flashs. L'hécatombe qu'a produit cette guerre civile y est dénoncée.

"D'abord timides, puis de plus en plus fortes, les voix confondues des quelque cent mille hommes des deux camps s'élevèrent dans la nuit étoilée. L'attaque eut lieu à l'aube le lendemain matin. Deux jours plus tard, le tiers des hommes n'était plus.
Il y avait eu des batailles, puis des massacres, il y aurait des hécatombes." (page 89).

En plus de la guerre sanglante qui change à jamais les hommes, l'esclavage et la ségrégation sont également dénoncés à travers plusieurs passages ponctuels qui sillonnent le récit. Cela peut-être une conversation entre notables, la première messe à laquelle assiste Eve, le jeu d'échecs avec ses pièces noires et blanches. Enfin, la montée du KKK est également mentionnée... Toutes ces bribes de récits nous apprennent tellement sur cette Amérique du XIXe siècle, elles nous révoltent et nous font réfléchir à la fois.

Cependant, le thème de la liberté est aussi présent dans ce roman atypique. Plusieurs images de ce thème nous frappent comme le dessin de l'oiseau tracé dans le sable par Eve ou encore Eve imaginant le cheval qu'elle a trouvé mort en train de galoper "crinière au vent"... Vous l'aurez compris, ce roman fourmille de symboles.

L'auteure québécoise a choisi un style, un narrateur et une structure narrative bien particuliers. L'intrigue centrale basée sur les deux jeunes filles est entrecoupée à maintes reprises par des pauses narratives. Certaines fois, le narrateur (son identité dévoilée au début est très originale) parle du contexte historique, d'anecdotes intéressantes sur l'Amérique, parfois il se concentre sur June, la mère d'Eve, qui vit misérablement avec ses enfants et d'autres esclaves sur une autre plantation. Une fois, le temps s'est même accéléré, parfois même les frontières entre les époques s'effacent... Ces passages, ces images, ces bribes de récits dans le roman forment ensemble un beau patchwork, La Porte du ciel.

Justement, parlons couture. Car oui, il est question de couture dans ce roman, précisément de l'art de la courtepointe. Elle est évoquée à travers la culture du coton, à travers les drapeaux que confectionnent les jeunes filles pour les soldats, ou les linceuls que brode June pour ses enfants. De même, des courtepointes aux différentes couleurs sont décrites entre deux morceaux de récits, mises en forme sur une page. Sans compter cette église construite de bric et de broc par le Père Louis, qui croit profondément à l'égalité entre tous les hommes. Tout simplement, l'auteure décrit là une Amérique façonnée avec des motifs différents, des couleurs différentes, mais qui forme finalement un seul et même ensemble.

Pour conclure, non seulement ce troisième roman de Dominique Fortier tient ses promesses, mais il va plus beaucoup plus loin que l'évocation du destin de ces deux jeunes filles. La Porte du ciel est un roman atypique, unique et qui dépeint une Amérique divisée de fin XIXe siècle. A travers l'histoire d'Eleanor et d'Eve, celle de June, celle de couturières, celle de cette Eglise en bois, ce roman relate une quête de la liberté dans un pays qui vient à peine de naître. Le fil rouge qu'est la courtepointe relie les destins de ces femmes, différentes mais unies par un même désir : la liberté. L'auteure nous pose enfin ces questions pertinentes : cette guerre a-t-elle vraiment pris fin ? La liberté est-elle vraiment acquise ? Je ne peux que vous conseiller ce roman patchwork original et magnifique, assemblé par une belle plume.

Ma note : 17/20

A bientôt pour une prochaine chronique ^^











2 commentaires:

  1. Acheté aujourd'hui pour l'achat de la saison à France Loisirs :-) Je suis ravie !!! Je pense qu'il ne va pas attendre trop longtemps ! Merci pour ton avis ! (Je le pensais plus gros que ça, en plus)

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